COUP DE PROJECTEUR

Éditeur Le Tripode
Date de publication 01 septembre 2022

Littérature

ATTAQUER LA TERRE ET LE SOLEIL

Salué par la critique depuis vingt ans, Mathieu Belezi livre avec Attaquer la terre et le soleil un roman magistral, qui incarne la folie et l'enfer de la colonisation de l'Algérie au XIXe siècle. Sophie Langlais, agente pour l’agence BAM, répond à nos questions.

 
BIEF : Sophie Langlais, vous êtes associée de l’agence littéraire BAM et votre agence gère les droits étrangers des livres du Tripode. Pourriez-vous présenter Attaquer la terre et le soleil brièvement ? 
 
Sophie Langlais : Attaquer la terre et le soleil raconte, à travers les voix d’une femme, mère de famille, et d’un soldat, l’installation au XIXe siècle d’une colonie en Algérie. Nous assistons à l’incroyable choc culturel pour ces Français qui n’avaient jamais voyagé et qui découvrent cette terre qu’ils ne savent pas cultiver, ces habitants dont ils ne comprennent pas la langue et la violence du discours colonial fanatique qui s’exerce sur les soldats. On assiste aussi à la vie de leur communauté, aux quelques joies familiales et fêtes de village qui ponctuent le temps, entre les épidémies et le déferlement de violence contre les populations colonisées.

BIEF : Cela fait une quinzaine d’années déjà que Mathieu Belezi écrit sur cette colonisation à travers sa trilogie algérienne C’était notre terre, Les vieux fous et Un faux pas dans la vie d’Emma Picard. Ses livres ont paru chez différents éditeurs mais maintenant Le Tripode souhaite publier l’intégralité de son œuvre ? 
 
Sophie Langlais :  Le Tripode a un programme de publication de dix livres de Mathieu Belezi pendant cinq ans. Il s’agit à la fois de republier des textes, de proposer de nouvelles versions de textes déjà parus et des textes inédits, bien sûr. C’est un formidable engagement, de la part d’un éditeur indépendant pour un auteur qu’il entreprend de promouvoir de façon très soutenue. Cela impressionne également les éditeurs étrangers. Cette aventure éditoriale a été décrite dans un article du Monde qui évoque une émission de Richard Gaitet sur les livres et les éditeurs. Il y a également eu un superbe portrait de l’auteur dans Libération et, en creux, de son éditeur.
Dans le domaine de la création, il est toujours difficile de "faire des programmes" : un auteur qui devait envoyer son manuscrit prend du retard, on découvre un premier roman au dernier moment… Ici, l’existence de ce calendrier de publication a quelque chose de très rassurant et de constructif pour un éditeur étranger. Il peut publier rapidement l’œuvre d’un auteur qui a la force d’un classique et qui sera présent pour l’expliquer et la défendre. 
 
BIEF : Vous dites que Mathieu Belezi, né en 1953, grand voyageur et auteur d’une quinzaine de romans et de nouvelles, est un écrivain majeur. Pourquoi ?
 
Sophie Langlais : C’est évidemment subjectif, mais je dirais que c’est le caractère très universel de son œuvre. J’imagine qu’on aurait pu le lire il y a cinquante ans, et qu’on pourra le lire dans cinquante ans. Les thèmes qu’il aborde sont sans âge - la guerre, la mort, la violence, l’enfance, le désir, la solitude. Ses textes peuvent faire écho aux tragédies grecques dans leur évocation d’un destin impitoyable qui s’abat sur les hommes. 
 
BIEF : À combien d’exemplaires le roman s’est-t-il vendu en France ? 
 
Sophie Langlais : Le Tripode a vendu 16 000 exemplaires et en a réimprimé 40 000 après réception du Prix du Livre Inter 2023. Le livre a été très bien accueilli, à tous les niveaux. François Bétremieux, le responsable relations libraires de la maison, a recueilli pas loin d’une centaine de coups de cœur de libraires. Côté lecteurs, le livre a reçu le Prix des lecteurs Escale du livre 2023. Côté presse, il a obtenu la une du Monde des livres, un entretien dans Libération, le Prix littéraire du Monde.

BIEF : Le style et le travail sur la colonisation de Mathieu Belezi ont été comparés à Faulkner. À juste titre ?
 
Sophie Langlais : Oui ! Faulkner est une référence qui parle à tout le monde : la puissante noirceur de sa description du monde, l’alliance d’un style à la fois épique et très réaliste. Ce style se retrouve effectivement dans l’œuvre de Mathieu Belezi.

BIEF : Le tabou autour de la colonisation de l’Algérie concerne d’abord la France. Était-ce un frein pour la vente des droits ? 
 
Sophie Langlais : Certes, l’Algérie est une histoire française, mais la colonisation est une histoire, là encore, universelle. Les moments heureux de cette famille qui s’installe peuvent évoquer parfois La petite maison dans la prairie de Laura Ingalls Wilder ; il y a l’idée de la conquête d’un territoire au-delà de la frontière, comme dans les westerns : une référence culturelle qui parle à tout le monde. Les scènes d’épidémie de choléra rappellent Le hussard sur le toit de Jean Giono, et plus proche de nous, les premiers jours de l’épidémie de Covid, en Chine et en Italie. Cette peur panique de l’humain qui voit ses proches mourir sans comprendre ce qui s’abat sur lui et comment arrêter cette malédiction, elle peut être éprouvée par toutes les femmes et les hommes, sur tous les continents.
 
BIEF : Vous avez cédé les droits en Espagne. Chez quel éditeur et quel est son retour ? 
 
Sophie Langlais : C’est mon collègue Julián Nossa qui a cédé les droits en Espagne. José Hamad, chez Sexto Piso, lui a écrit ce message : "La présence coloniale française en Algérie n'est pas un sujet que l'on retrouve souvent en Espagne, mais les Espagnols et les Latino-Américains savent de quoi on parle quand on évoque la colonisation. Nous avons ouvert le livre en sachant que nous allions devoir nous battre pour le faire vivre dans les librairies et dans la presse, mais chaque page nous a convaincus. Tous nos lecteurs sont d'accord : il s'agit d'une écriture viscérale qui éclaire d'une lumière vive non seulement la violence et la misère de la colonisation algérienne, mais aussi l'humanité."
 
BIEF : D’autres éditeurs étrangers ont-ils manifesté leur intérêt ? 
 
Sophie Langlais : Oui, à la suite des différentes foires, les éditeurs lisent Attaquer la terre et le soleil mais aussi Le petit roi, le premier roman de Mathieu Belezi publié en 1998, et nous ne tarderons pas à partager le manuscrit de janvier 2024 que va publier Le Tripode. Le livre a suscité beaucoup d’intérêt en Italie, d’autant que l’auteur vit actuellement à Rome. Aux États-Unis aussi, où les références culturelles de l’auteur parlent beaucoup, tout comme aux Pays-Bas dont le passé colonial a des traits communs avec celui de la France.
 
Propos recueillis par Katja Petrovic 
Septembre 2023