Aujourd'hui encore, la plupart des récits fonctionnent ainsi : un héros masculin, souvent blanc, part à l’aventure, se lance un défi et le remporte, grâce à une action violente et héroïque. Et voilà, l’histoire est terminée et tout le monde est content. Mais, où sont donc les femmes dans ces histoires, se demande Alice Zeniter, 36 ans, professeure, dramaturge et auteure de plusieurs bestsellers. La réponse est aussi simple qu’enrageante : nulle part ou quelque part à la marge, car depuis la nuit des temps, les femmes n’ont pas vraiment leur place dans l’histoire des arts. Que ce soit dans le drame antique, dans la peinture rupestre ou dans les films hollywoodiens, elles ne sont pas représentées à leur juste valeur.

Même dans ses propres livres, primés par les plus prestigieux prix littéraires français, dont le prix Goncourt des Lycéens pour l’art de perdre ou le Prix du Livre Inter pour Sombre dimanche, les personnages féminins subissent un traitement assez misogyne suivant l’héritage littéraire depuis la Poétique d’Aristote, constate Alice Zeniter.

"Mi-savant, mi-one woman show, ce petit livre, bref et très vivant, est à mettre entre toutes les mains, pour déconstruire nos pratiques de lecture, d’écriture, et notre vision des personnages féminins et des rôles qui leur sont assignés dans la fiction depuis l’Antiquité. Elle cite aussi bien La princesse de Clèves et Platon, que Frodon du Seigneur des anneaux ou les Schtroumpfs", explique Claire Stavaux, directrice de L’Arche pour qui ce petit livre était un de ses plus grands coups de cœur d’éditrice. "D’emblée, ce texte m’a fascinée par son oralité, et sa manière d'allier humour et érudition. Entre conférence, monologue et récit intime, très personnel pour l’autrice, qui nous fait entrer dans son imaginaire avec une grande lucidité et beaucoup d'autodérision, ce livre se dévore en deux heures. Court, drôle et intelligent : voici sa formule secrète" résume Claire Stavaux, connue pour ses publications féministes et engagées et qui était sûre d’en faire un bestseller.
Un pari gagné : avec 25 000 exemplaires vendus, ce brillant pamphlet féministe et politique est devenu un grand succès en France avec des retours enthousiastes de la part de la presse et des lecteurs : "C’est un peu comme si Umberto Eco faisait du stand-up. Bravo !", entend-on sur Europe 1 ; "c’est un concentré d’humour et d’intelligence qui produit de la pensée à chaque page et invite à ne rien tenir pour acquis", écrit L’Humanité ; tandis qu’une lycéenne résume qu’elle a plus appris en une heure trente sur la littérature et sur elle que pendant toute sa scolarité ! L’autrice a également joué ce texte à guichets fermés pendant un mois au Théâtre du Rond-Point à Paris en mai 2022, avec une standing ovation à la fin de chaque représentation.

Aux éditions de L’Arche ce texte très singulier a trouvé sa place dans la nouvelle collection "Des écrits pour la parole" qui compte seize titres et des autrices comme Kate Tempest, Anne Carson ou Léonora Miano. Une collection "qui ouvre ses portes à une littérature non genrée, qui ne délimite pas les bornes en enfermant un texte dans un genre littéraire, mais qui cherche à décloisonner l’expression et sa réception pour libérer la littérature du carcan formel", explique Laetitia Monfort, chargée des droits aux éditions de L’Arche, qui espère que ce livre s’intégrera également dans les catalogues de maisons d’édition étrangères. Pour l’instant, les droits ont été vendus en Allemagne où le livre est paru aux éditions W (Westend Verlag) cette année.

Katja Petrovic, Claire Stavaux, Laetitia Monfort
Décembre 2022