COUP DE PROJECTEUR

Éditeur Talents Hauts
Date de publication 06 mars 2014

Jeunesse

LA DÉCLARATION DES DROITS DES FILLES

"Nécessaires dans le monde entier et abordables, ces albums ont parlé d’eux-mêmes !"

Depuis leur création en 2005, les éditions Talents Hauts se sont fait une réputation dans le décryptage des stéréotypes sexistes et travaillent sur les questions de représentation dans les livres de jeunesse. Emblématiques de ce catalogue, La Déclaration des droits des filles et La Déclaration des droits des garçons se sont vendus à 35 000 exemplaires en France et ont été traduits dans plus de dix pays étrangers. Retour sur ce succès avec Laurence Faron, directrice de Talents Hauts. 

 
Publiées en 2014, bien avant l’affaire #MeToo et la vague féministe qui l’a suivie, ces Déclarations des droits des filles et des garçons, destinées aux enfants de 5-9 ans, abordent de front la question du genre et des stéréotypes. Loués par les médias et portés par les enseignants en France, ces deux albums ont vite séduit les éditeurs étrangers également. 
 
BIEF : Laurence Faron, ces Déclarations brisent les stéréotypes et proposent aux filles comme aux garçons de vivre et de s’amuser à égalité. Comment, avec Élisabeth Brami et Estelle Billon-Spagnol, y êtes-vous arrivées ? 
 
Laurence Faron : Le plus difficile a été de trouver une forme. Le texte d’Élisabeth Brami, autrice reconnue d’une centaine d’albums pour enfants et ancienne pédopsychologue, a la forme d’un faux texte institutionnel sur le modèle de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "Article 1 – Les filles comme les garçons ont le droit de…" et ainsi de suite en 15 articles. Pour qu’on ne s’y trompe pas et que les enfants y trouvent leur compte, il a fallu ajouter de la chair, des exemples, de l’humour : c’est tout le travail et le talent d’Estelle Billon-Spagnol d’avoir fait vivre chacun des nombreux exemples sous forme de plusieurs saynètes très vivantes pour chaque article de la Déclaration. Le décalage entre le texte en apparence austère et la fantaisie de l’illustration était la clé. 
 
BIEF : Comment avez-vous eu l’idée de publier également La Déclaration des droits des garçons ?
 
L.F. : Les filles ne sont pas seules à être victimes de sexisme et l’éducation des hommes de demain est très importante pour l’égalité. Élisabeth Brami voulait que l’achat des deux livres soit une démarche volontariste, une façon de faire prendre conscience que le sexisme touche tout le monde, n’est pas une affaire de femmes ! Les albums ont donc été publiés deux par deux : les filles et les garçons, les mamans et les papas. Dans certains pays, le choix a été fait de les regrouper en un seul album "mixte". 
 
BIEF : Quelles ont été les réactions à ces albums en France ?
 
L.F. : Alors qu’en France la littérature pour la jeunesse est très rarement mise en avant, les Déclarations ont été beaucoup chroniquées dans la presse, et même à la radio et télévision. Les réactions ont été très positives : "Un livre que toutes les petites filles devraient avoir dans leur bibliothèque !" (France 2) ; "de l'humour toujours, des dessins drôles comme tout, et un message : les garçons ont le droit de pleurer, les filles de ne pas être tous les jours des princesses !" (France Info) pour n’en citer que quelques-unes. Les enseignants de leur côté ont tout de suite compris l’intérêt éducatif de ces albums et les utilisent souvent en classe pour débattre et réfléchir aux questions de citoyenneté qui sont au programme de l’école primaire en France. Mais ce sont surtout les enfants qui nous inondent de dessins, affiches, livrets dans lesquels ils et elles mettent en scène d’autres exemples avec humour, colère et souvent émotion. Comme quoi, ces livres touchent au plus juste de leur réalité. 
 
BIEF : Dans quels pays avez-vous cédé les droits ? 
 
L.F. : À ce jour, l’anglais (pour l’Irlande et le Royaume-Uni seulement), l’Amérique latine, la Chine continentale, mais aussi Hong Kong et Taiwan, la Corée, la Turquie, le Vietnam, l’Italie, la Biélorussie... Et il y en a d’autres dans les tuyaux ! Les premières cessions se sont faites vers l’Italie, la Chine et l’Allemagne, sans doute en lien avec les foires internationales auxquelles nous avons participé. L’Amérique latine a suivi après la Foire du livre de Guadalajara. Et évidemment, la version anglaise de Little Island nous apporte des contacts. 
 
BIEF : Qu’est-ce qui a séduit les éditeurs étrangers ? 
 
L.F. : Les livres ont parlé d’eux-mêmes ! Ils sont à la fois nécessaires, dans le monde entier, et abordables par tout le monde. On pourrait dire que c’était facile ! Et puis, l’harmonie du fond et de la forme a séduit les éditeurs étrangers. Il est vrai qu’à partir de 2017, tout le monde s’est mis à chercher des titres "sur le genre" c’était donc encore plus facile. Mais, à l’étranger comme en France, personne ne s’y trompe : la question des stéréotypes ne s’improvise pas. Il faut se défier d’en introduire en les dénonçant. Je trouve encore plus important de représenter des mères qui ne soient pas toutes minces et sexy à la sortie de l’école ou que certains pères puissent être chauves, au chômage ou fragiles, que de brandir des banderoles. L’identification est très importante pour les enfants.
 
BIEF : Y avait-il des modifications à faire pour certaines éditions à l’étranger ? 
 
L.F. : Les articles 15 des quatre albums disent tous : "Les filles / garçons / mamans / papas ont le droit d’aimer qui elles / ils veulent." Cet article pose problème dans les pays où les libertés individuelles ne sont pas encore garanties. Pour le reste, les situations représentées sont tellement variées que tout le monde s’y retrouve et je suis souvent étonnée de voir tout ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous sépare. À chaque foire, j’ai de nouveaux contacts et les pays les plus conservateurs ne sont pas les plus frileux !
 
BIEF : Savez-vous comment les éditeurs étrangers ont procédé pour promouvoir les Déclarations dans leur pays ?
 
L.F. : Plusieurs ont demandé le soutien d’Amnesty International qu’ils ont réussi à mobiliser, ce qui pour nous est une grande fierté. Nous travaillons nous-mêmes très régulièrement avec Amnesty International qui soutient beaucoup de nos publications. Leur engagement rejoint le nôtre. D’autres éditeurs ont présenté les albums à des programmes éducatifs, gouvernementaux. Certains ont en projet d’inviter l’autrice et l’illustratrice. 

Propos recueillis par Katja Petrovic
Octobre 2020